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Ce cours aborde tous les thèmes qu'il faut maîtriser sur le recueil de poèmes d'Apollinaire et sur le parcours "Modernité poétique". Organisé par blocs thématiques, il vous prépare à traiter n'importe quel sujet de dissertation qui pourrait tomber le jour du bac, à comprendre la problématique,  à construire un plan (parties et sous-parties) et à vous appuyer sur des références et des citations précises de l’œuvre.

I. Le recueil de Guillaume Apollinaire apparaît de manière évidente d’une grande modernité. Elle correspond à son époque, nouvelle, inventive, créatrice.

 

La poésie d’Apollinaire exprime la modernité du monde

Le recueil évoque à plusieurs reprises la modernité de la ville, le développement industriel et les découvertes techniques, notamment dans le domaine des transports. Des innovations du style permettent la peinture de ce paysage du début du XXème siècle dans toute sa diversité et dans le mouvement qui l’anime :

  • l’absence de ponctuation

  • les assonances préférées aux rimes

  • les vers qui s’allongent parfois démesurément

  • les expressions détachées, placées les unes à côté des autres

 

Ainsi, « Zone », qui s’ouvre sur la significative formule « À la fin tu es las de ce monde ancien », expose une série de tableaux du monde contemporain de l’auteur. Tout se croise sans ordre apparent et sans distinction : publicité, religion, aviation, ouvriers, comme si le poète, tel un cubiste, voulait rendre compte de l’incroyable vitalité de la modernité en la représentant presque simultanément sous divers angles.

 

Zone

A la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers

J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes

 

Le poème "Zone", au début du recueil, peut se lire comme un manifeste qui témoigne de la quête d'une esthétique nouvelle : "À la fin tu es las de ce monde ancien".

 

Faire le lien avec Émile Verhaeren, auteur contemporain qui associe l’expression de nouveaux paysages à une liberté prise avec la forme et les images, dans Les villes tentaculaires.

 

Le recueil témoigne de l’influence des artistes contemporains

Les nombreuses dédicaces dans Alcools montrent l’actualité artistique. En dédiant ses textes à ses amis auteurs et peintres, Apollinaire indique la grande diversité de ses influences. Il ne se plie jamais à un dogme mais va chercher partout de quoi nourrir son écriture. On retient notamment :

  • le célèbre nom de Picasso en exergue du poème « Les Fiançailles », qui développe un lyrisme sans précédent dans les neuf textes qui le composent. « Les Fiançailles » exprime l’abandon de la tradition vers un nouveau mode de représentation :

 

Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers

Je ne sais plus rien et j’aime uniquement.

 

 

Guillaume Apollinaire déploie dans Alcools une liberté de style propre à son époque

Une liberté extraordinaire est développée dans le recueil. Au-delà du renouveau formel, le langage du poète brise les interdits. Les images insolites (on pourrait dire « surréalistes », mot inventé par Apollinaire) côtoient les expressions les plus simples, parfois même les plus vulgaires. Le titre Alcools exprime le procédé de distillation, l’alchimie (comme la poésie qui transforme la réalité en art, le réel en beau), mais aussi ce qui désinhibe, l’agent de la fête et de l’excès.

  • Des expressions triviales comme dans « Voie lactée » : un « cul de dame damascène » ; dans « Sept épées » un « chibriape » (mot-valise créé par Apollinaire composé de chibre et Priape, mots qui désignent le sexe masculin)

  • Les vers très courts de « Hôtels » qui expriment l’enthousiasme spontané du poète :

 

 

La chambre est veuve
Chacun pour soi
Présence neuve
On paye au mois

Le patron doute
Payera-t-on
Je tourne en route
Comme un toton

 

 

  • L’énigmatique alexandrin qui compose à lui seul le poème « Chantre » :

 

Et l'unique cordeau des trompettes marines

 

 

  • Une œuvre placée sous le signe de la discontinuité : des poèmes qui abordent des thèmes différents, des thèmes à l'intérieur d'un même poème ("1909", le simultanéisme de l'écriture : début de "Zone" (ruptures thématiques))

 

 

 

 

II. La poésie de Guillaume Apollinaire ne rejette pas le passé pour autant. Elle se construit avec le passé et à travers le passé.

 

Le recueil laisse une large place aux amours passées du poète

La nostalgie domine l’œuvre. On relève dans les poèmes de nombreux éléments biographiques, tant dans les lieux parcourus que dans les individus évoqués. On peut ainsi lire « Marie » et « Annie », en reconnaissant assez facilement d’une part Marie Laurencin, peintre, poétesse, muse de l’auteur qui a partagé sa vie de 1907 à 1912, et d’autre part Annie Playden, jeune anglaise rencontrée lors du séjour rhénan en 1900, qu’il tentera – sans succès - de reconquérir avant qu’elle ne parte pour les États-Unis. Les anciennes amours sont dispersées dans le recueil sans, pour autant, suivre de chronologie. La section « Rhénanes », cependant, semble être au cœur du recueil comme une parenthèse passée qui rassemble les souvenirs du voyage au bord du Rhin. « Mai », en particulier, évoque la beauté des paysages et un amour révolu aux temps du passé où « celle que j’ai tant aimée » n’est plus nommée.

 

Alcools se nourrit aussi des mythes et de l’histoire du passé

Le recueil s’inscrit dans un passé historique et fictionnel. Apollinaire multiplie les références aux mythes et à la religion qui se mêlent et se confondent parfois, dans un élan mystique singulier. La « Chanson du Mal-Aimé », par exemple, nous permet de rencontrer le Phénix, Chanaan, Ulysse et Sacontale, et le poète s’exclame : « Mon beau navire ô ma mémoire / Avons-nous assez navigué ». C’est un voyage dans le passé : le mythe, la religion et la littérature, de l’Antiquité égyptienne ou gréco-latine à la Bible, sans oublier le drame hindou. Les lectures du poète semblent lui avoir fourni des images qui peuplent son imaginaire ; la sorcière Lorelei n’est qu’une nouvelle preuve du mélange des diverses traditions du passé.

 

La Chanson du mal-aimé

à Paul Léautaud

 

 

Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s’il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.

 

Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu’il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte

 

Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon

 

Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain d’Égypte
Sa soeur-épouse son armée
Si tu n’es pas l’amour unique

 

Au tournant d’une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant

 

C’était son regard d’inhumaine
La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d’une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l’amour même

 

Lorsqu’il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d’un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu’il revînt

 

L’époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
D’attente et d’amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle

 

J’ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux

 

Regrets sur quoi l’enfer se fonde
Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes voeux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre

 

J’ai hiverné dans mon passé
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un coeur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés

 

Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir

 

Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s’éloigne
Avec celle que j’ai perdue
L’année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus

 

Voie lactée ô soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses

 

Je me souviens d’une autre année
C’était l’aube d’un jour d’avril
J’ai chanté ma joie bien-aimée
Chanté l’amour à voix virile
Au moment d’amour de l’année

 

 

Guillaume Apollinaire hérite des poètes du passé

On reconnaît l’influence symboliste dans ses poèmes, et la continuation des audaces stylistiques et thématiques de ces poètes de la fin du XIXème siècle, ainsi qu’une certaine mélancolie des romantiques allemands.

  • Des topoï poétiques : l'amour, la fuite du temps, la nature envisagée comme un paysage d'âme. "Automne malade", "L'Adieu", "Les Colchiques". Le simple titre « Automne malade » renouvelle la personnification des saisons qui permet l’expression des états d’âme.

  • Jeux avec la versification classique : "Le Pont Mirabeau" où l'on trouve des décasyllabes, par exemple.

  • Une œuvre se nourrissant de références littéraires : bibliques et mythologiques, influence du Parnasse, réécritures de poèmes ("La Loreley" inspirée par le poète allemand Heinrich Heine), quête initiatique (Apollinaire a lu en profondeur les œuvres médiévales et s'est imprégné de l'itinéraire initiatique et symbolique des personnages, les légendes rhénanes, la figure de Merlin...)

 

 

 

 

III. Le recueil, à la fois moderne et nourri du passé, acquiert une dimension universelle : la poésie de Guillaume Apollinaire semble presque « s’inventer » d’elle-même, comme une parole née en dehors du temps.

 

Plus que de reposer sur une opposition du passé et de la modernité, le recueil s’appuie sur la conscience du temps qui passe

On retrouve dans les poèmes le motif typiquement poétique du tempus fugit. Dans Alcools, le passé n’est jamais glorifié ou regretté sans ouverture vers l’avenir. Ainsi peut-on lire dans « Le Brasier » :

 

 

Le Brasier

À Paul-Napoléon Roinard

 

J'ai jeté dans le noble feu
Que je transporte et que j'adore
De vives mains et même feu
Ce Passé ces têtes de morts
Flamme je fais ce que tu veux

Le galop soudain des étoiles
N'étant que ce qui deviendra
Se mêle au hennissement mâle
Des centaures dans leurs haras
Et des grand'plaintes végétales

Où sont ces têtes que j'avais
Où est le Dieu de ma jeunesse
L'amour est devenu mauvais
Qu'au brasier les flammes renaissent
Mon âme au soleil se dévêt

Dans la plaine ont poussé des flammes
Nos cœurs pendent aux citronniers
Les têtes coupées qui m'acclament
Et les astres qui ont saigné
Ne sont que des têtes de femmes

Le fleuve épinglé sur la ville
T'y fixe comme un vêtement
Partant à l'amphion docile
Tu subis tous les tons charmants
Qui rendent les pierres agiles

[...]

 

Voici ma vie renouvelée

De grands vaisseaux passent et repassent.

 

 

Ce poème dans lequel le passé est consumé dans un feu purificateur, développe l’image de l’eau qui coule pour symboliser la course du temps. Il associe les temps du passé, du présent et du futur, afin de créer un espace suspendu qui permet une prise de distance avec l’existence vécue.

De la même façon, la structure du recueil, qui s’ouvre par le premier vers de « Zone » :

 

A la fin tu es las (…)

 

et s’achève sur le dernier vers de « Vendémiaire » :

 

(…) Les étoiles mouraient le jour naissait à peine

 

invite à le lire comme l’espace d’une transformation : le souvenir des déceptions est accepté comme la condition d’une création future. Le passé n’est remémoré que pour être dépassé et atteindre un renouveau au dernier vers.

 

Les choix formels transportent la poésie hors du temps

Il est en fait un peu superficiel de décider si le style du poète tient davantage de l’héritage symboliste, des innovations surréalistes ou d’une création propre à Apollinaire. Certains choix de forme ont des effets intemporels :

  • L’absence de ponctuation : elle peut apparaître au premier regard comme moderne et inédite, mais elle peut aussi nous rappeler la poésie la plus ancienne comme celle de l’antiquité grecque : l’absence de ponctuation impose un langage crypté qui donne une sorte de profondeur mystique, une certaine force confuse et magique.

 

  • La confusion du sens et de l’interprétation dans « Le Pont Mirabeau ». Le poème convoque le Moyen Âge avec son refrain, mais il y règne des indécisions syntaxiques :

 

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

 

Ainsi que certaines expressions énigmatiques comme s’il s’agissait surtout d’inviter à l’interprétation, à l’imaginaire :

 

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

 

 

Apollinaire fonde ainsi un nouveau lyrisme à la portée universelle

Le mythe et le vécu, le personnel et le collectif, se trouvent entremêlés par une nouvelle parole, que le poète nous présente comme venant d’ailleurs, de hors de lui. Apollinaire semble parfois vouloir disparaître et se désincarner pour laisser sa voix se faire en nous. On peut lire ainsi dans « Cortège » :

 

Et le langage qu’ils inventaient en chemin

Je l’appris de leur bouche et je le parle encore

Le cortège passait et j’y cherchais mon corps

Tous ceux qui survenaient et n’étaient pas moi- même

Amenaient un à un les morceaux de moi-même

On me bâtit peu à peu comme on élève une tour

Les peuples s’entassaient et je parus moi-même.

 

Le poète, délivré de son corps, se reconstruit dans un langage unique qui rassemble les hommes.

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