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Ce cours aborde tous les thèmes qu'il faut maîtriser sur la pièce de Lagarce et sur le parcours "Crise personelle, crise familiale". Organisé par blocs thématiques, il vous prépare à traiter n'importe quel sujet de dissertation qui pourrait tomber le jour du bac, à comprendre la problématique,  à construire un plan (parties et sous-parties) et à vous appuyer sur des références et des citations précises de l’œuvre.

Cette pièce nous plonge dans l'intimité d'une famille en proie à ses propres démons. Le protagoniste, Louis, revient dans sa famille après une longue absence pour annoncer sa mort imminente. Cette réunion familiale devrait être un moment de réconciliation, mais elle se transforme rapidement en un tourbillon d'émotions refoulées, de non-dits et de conflits larvés. Lagarce nous offre un huis clos étouffant où les membres de cette famille se débattent avec leurs propres démons, incapables de communiquer leurs véritables sentiments.

La force de Juste la fin du monde réside dans sa capacité à explorer les dynamiques familiales avec une sensibilité et une justesse remarquables. Lagarce met à nu les failles et les fragilités qui résident au cœur de chaque individu. À travers le personnage de Louis et de sa famille, l'auteur nous confronte à nos propres peurs, nos propres désirs inassouvis, et nous force à réfléchir sur la nature complexe des liens familiaux. Comme spectateurs, on est amenés à réfléchir sur la manière dont les crises personnelles peuvent avoir un impact sur la dynamique familiale et vice versa.

 

 

1. Crise personnelle de Louis : son isolement

 

Pourquoi, dès le début de la version écrite de la pièce, Louis apparaît-il isolé ?

 

LISTE DES PERSONNAGES

LOUIS, 34 ans

SUZANNE, sa sœur, 23 ans

ANTOINE, leur frère, 32 ans

CATHERINE, femme d’Antoine, 32 ans

LA MÈRE, mère de Louis, Antoine et Suzanne, 61 ans

 

« Cela se passe dans la maison de La Mère et de Suzanne, un dimanche, évidemment, ou bien encore durant près d’une année entière. »

 

Que peut-on interpréter de cette liste ? Louis est le premier à être nommé, et la plus jeune sœur Suzanne lui est directement rattachée. On notera aussi que La Mère n’est désignée que par son rôle dans la famille. Aussi, la mention du lieu, « la maison de La Mère et de Suzanne » implique une distribution des personnages : Suzanne et La Mère, Antoine et Catherine. Cela isole d’emblée le personnage de Louis.

 

Les monologues de Louis

Que remarque-t-on en observant rapidement les moments de la pièce où Louis a de longues répliques ?

 

Il parle longtemps quand il est seul (sauf passage en gras) : Prologue (p. 23-24) ; scène 5, I (p. 49-51) ; scène 6, I (p. 51-54) ; scène 10, I (p. 65-71) ; début de la scène 11, I (p. 71-74) ; scène 1, II (p. 87-88) ; épilogue (p. 105-106).

 

En fait, la pièce alterne les scènes de dialogue entre les membres de la famille et plusieurs monologues (I,5 ; I,10 ; II,1), tous attribués à Louis. Ces monologues sont comme des moments suspendus dans le temps qui révèlent avec une sincérité totale la vie intérieure du personnage, et montre sa singularité dans la famille. Idem dans l’« Intermède » : dans la scène 3, Louis décrit un « rêve » dans lequel il redevient un enfant.

 

Exemple

Louis (monologue de la scène 5 de la première partie : « […] mes parents et tous ceux que j’approche ou qui s’approchèrent de moi, / mon père aussi par le passé, admettons que je m’en souvienne, / ma mère, mon frère là aujourd’hui / et ma sœur encore, / que tout le monde après s’être fait une certaine idée de moi, / un jour ou l’autre ne m’aime plus, ne m’aima plus / et qu’on ne m’aime plus / (ce que je veux dire) / « au bout du compte », / comme par découragement, comme par lassitude de moi, / qu’on m’abandonna toujours car je demande l’abandon. » 

 

La solitude de Louis

La solitude de Louis est un drame intime complexe qui se dévoile au fil de son retour parmi les siens. Dans un monologue poignant de la scène 5 de la première partie, il révèle que son retour dans la maison familiale vise à exorciser une peur profonde : celle de l'oubli, de ne plus être aimé, une crainte ancrée en lui depuis l'enfance. Il exprime un sentiment de déficit affectif, se sentant toujours étranger même parmi sa propre famille et ses proches. Cette peur persistante d'être abandonné, de voir l'amour se dissiper, le hante :

« … mes parents et tous ceux que j’approche ou qui s’approchèrent de moi, / mon père aussi par le passé, admettons que je m’en souvienne, / ma mère, mon frère là aujourd’hui / et ma sœur encore, / que tout le monde après s’être fait une certaine idée de moi, / un jour ou l’autre ne m’aime plus, ne m’aima plus / et qu’on ne m’aime plus / (ce que je veux dire) / « au bout du compte », / comme par découragement, comme par lassitude de moi, / qu’on m’abandonna toujours car je demande l’abandon. ».

 

Ce retour ravive un drame plus ancien, celui de son « abandon » initial, comme le souligne Suzanne, marquant ainsi le début d'une série de tourments. Les raisons de ce départ demeurent floues, enveloppées dans le mystère : pourquoi Louis a-t-il choisi de s'éloigner de sa famille, ne gardant avec eux qu'une correspondance épistolaire vague, basée sur des « lettres elliptiques » ? Les premières scènes de la pièce évitent soigneusement d'aborder cette question, mais Suzanne l'aborde finalement dans la troisième scène, exprimant son reproche face à son absence prolongée :

« Ce n’est pas bien que tu sois parti, parti si longtemps. »

Pourtant, elle avoue son ignorance des véritables raisons de son départ, ne faisant que les imaginer.

 

Dans la scène 3 de la deuxième partie, Antoine évoque le sentiment de désamour dont a souffert Louis, un sentiment auquel sa famille n'a pas su répondre : « les parents en parlaient devant moi comme on ose évoquer un secret dont on devait me rendre également responsable. ». Louis semble avoir longtemps endossé le rôle du paria, du mal-aimé. Pour se protéger, il s'est forgé une identité, celle de « l’Homme malheureux », toujours préoccupé de paraître fort, même au prix de la tromperie, se repliant sur lui-même et rejetant toute responsabilité extérieure. Son drame intime réside dans la solitude qu'il a construite autour de lui, une forme d'auto-abandon.

 

Son retour parmi les siens le confronte à l'ampleur de cette solitude. Il réalise que sa propre fin ne signifiera pas la fin du monde pour les autres, qu'il ne sera plus qu'un « mort », aimé ni plus ni moins qu'auparavant. « Désarrimé de sa famille », Louis demeure pour toujours une figure de la solitude et de l'errance, comme le souligne l'épilogue : « en mouvement, un marcheur, un mort debout, un mort qui marche. ». Ce caractère isolé du personnage est souligné par la mise en scène de Joël Jouanneau, le présentant comme déjà détaché, évoluant entre ciel et terre, luttant avec la mort, l'aimant, la fuyant, s'en moquant.

 

 

2. Crise personnelle de Louis : son destin tragique

 

Le prologue

En quoi le prologue annonce-t-il la tragédie de Louis ?

Le jeune homme y expose la crise personnelle qu’il traverse depuis « de nombreux mois déjà » : il se sait condamné, affronte la peur, l’attente de sa « mort prochaine et irrémédiable ».

 

Le prologue trouve son origine dans le théâtre grec, pro logos signifiant le « discours [placé] avant » et désignant à l’origine la première partie de la tragédie, avant la première apparition du chœur.

 

En quoi ce prologue annonce-t-il la tragédie à venir ?

Le prologue s’ouvre sur l’annonce d’un futur (« Plus tard, l’année d’après ») qui s’oppose au présent d’énonciation qui suit (« j’ai près de trente-quatre ans »).

« j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai »

le faisant parler comme mort déjà : tragédie, car l’avenir funeste est annoncée dès le début.

 

Volonté de Louis de maîtriser sa mort, en tout cas l’annonce de sa mort :

« je décidai de retourner les voir pour annoncer ma mort » /« l’annoncer moi-même »

Essayer de lutter contre le caractère tragique de la fatalité en cherchant depuis « toujours » à être son « propre maître », même s’il a conscience que ce n’est qu’une illusion.

 

L’épilogue

L’épilogue conclut-il la tragédie de Louis ?

  • Son message se transformera en un cri, évoqué dans l’épilogue, cri retenu, jamais proféré, la nuit, le long d’un viaduc, mais tout autant regretté.

  • C’est sa voix qui conclut la pièce, lui toujours solitaire, dans l’épilogue. L’ensemble de est orienté de son point de vue.

 

On voit donc que l’intrigue est très limitée : le fils aîné, Louis, revenu voir sa famille après plusieurs années d’absence pour leur annoncer qu’il va mourir, repart « sans avoir rien dit de ce qui [lui] tenait à cœur », sans avoir même poussé un « grand et beau cri ».

 

Le dilemme : dire ou ne pas dire sa mort

Le dilemme crucial de Louis dans Juste la fin du monde de Lagarce réside dans la décision de divulguer ou non sa propre mort. Cette question devient le pivot d'un conflit intérieur intense pour lui. Dès le prologue, il exprime avec une force émouvante son désir de devenir le « messager » de sa propre fin imminente. Mais même dans cet environnement où « rien jamais ici ne se dit facilement », Louis se trouve constamment enlisé dans un marais d'hésitations et de non-dits. Malgré les multiples occasions que le dramaturge lui offre pour se libérer, Louis reste figé dans un silence oppressant, frappé d'aphasie dès qu'il tente d'exprimer sa vérité. Sa parole est perpétuellement interrompue ou compromise, comme en témoigne le moment où Catherine lui coupe la parole dans la scène 6 de la première partie, préférant qu'il se confie à Antoine plutôt qu'à elle :

« Ne me dites rien, je vous interromps / il est bien préférable que vous ne me disiez rien »

 

Cette incapacité à communiquer devient une source de frustration croissante pour Louis, une frustration qui culmine dans l'échec annoncé par La Mère dans la scène 8 de la première partie, lorsque, dans un moment de désespoir et de lucidité, elle envisage la possibilité que rien ne sera jamais dit, que rien n'aura d'importance :

« Tu te dis peut-être aussi, je ne sais pas, / je parle, / tu te dis peut-être aussi que je me trompe, / que j’invente, / et qu’ils n’ont rien à te dire / et que la journée se terminera ainsi comme elle a commencé, / sans nécessité, sans importance. Bien. Peut-être. ».

 

La pièce peut ainsi être interprétée comme le portrait poignant d'un échec, ou plus précisément, l'échec de la tentative de Louis de s'exprimer. Les mots salvateurs qu'il désespérait de prononcer et d'entendre restent piégés dans les méandres de son propre silence. Son message, loin d'être partagé, se transforme en un cri étouffé, murmuré dans l'obscurité de l'épilogue, près d'un viaduc, un cri empreint de regrets et de remords pour tout ce qui aurait pu être mais qui ne sera jamais.

 

 

3. La crise familiale, juxtaposition de crises personnelles

Louis garde son secret, mais sa présence déclenche la parole.

Comme l’a dit un metteur en scène de la pièce, Jean-Charles Mouveaux-Mayeur, « Louis est un détonateur ». Les autres membres de la famille saisissent l’opportunité de parler pour laisser s’exprimer leurs crises personnelles.

 

La crise de Suzanne

Suzanne, la « petite sœur » apparaît dès le début de la pièce comme une jeune femme en colère, bouleversée par le départ de son frère et par son retour aussi : elle est partagée entre envie d’en être heureuse et envie de lui faire des reproches. Petite sœur qui n’a jamais connu Louis (ou trop jeune), elle est heureuse de le voir, mais en même temps lui en veut d’être partie il y a longtemps. Elle rêve de partir elle aussi.

 

 

On peut s’appuyer sur la scène 3 de la première partie, véritable tirade solitaire de Suzanne.

La jeune femme y évoque d’abord le sentiment d’abandon qu’elle a ressenti, petite, face à la fuite de son frère aîné. Elle revient sur les « lettres elliptiques » envoyées par ce dernier au fil de trop longues années d’absence, autant de signes selon elle de sa volonté de ne jamais rien partager avec les siens.

 

Scène 3 de la première partie

Parfois, tu nous envoyais des lettres,

parfois tu nous envoies des lettres,

ce ne sont pas des lettres, qu’est-ce que c’est ?

de petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, rien, comment est-ce qu’on dit ?

elliptiques.

Parfois tu nous envoyais des lettres elliptiques.

 

Suzanne a l’air de s’exprimer avec de la colère et de la confusion : par les répétitions (« des lettres ») et la volonté de trouver le mot juste pour nommer ces « lettres », « petits mots », par les questions qu’elle se pose à elle-même.

 

Le départ de Louis, et la distance qu’il a ensuite créée avec sa famille, semblent expliquer le mode de vie de Suzanne. Désormais adulte, malgré son désir affiché d’émancipation, elle continue de vivre « dans la maison de La Mère » :

 

« Je ne pars pas, je reste, / je vis où j’ai toujours vécu mais je ne suis pas mal ». À Louis, le voyageur, s’oppose ainsi Suzanne, la sédentaire par choix, ou plutôt par résignation.

C’est comme si la fuite de Louis interdisait à la jeune femme de partir à son tour, comme si, par sa présence auprès de La Mère, elle cherchait à compenser, à soigner, à compenser l’absence de son frère. 

 

Je pensais, lorsque tu es parti

(ce que j’ai pensé lorsque tu es parti)

lorsque j’étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie (là que ça commence),

je pensais que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie,

ce que tu souhaitais faire dans la vie,

je pensais que ton métier était d’écrire (serait d’écrire)

ou que, de toute façon

- et nous éprouvons les uns et les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir, une certaine forme d’admiration, c’est le terme exact, une certaine forme d’admiration pour toi à cause de ça -,

ou que, de toute façon,

si tu en avais la nécessité,

si tu en éprouvais la nécessité,

si tu en avais, soudain, l’obligation ou le désir, tu saurais écrire,

te servir de ça pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer plus encore.

 

Elle lui reproche d’être parti : “tu nous as faussé compagnie”, expression agressive, qui connote une trahison. De surcroît, Louis est présenté par sa sœur comme un écrivain, un intellectuel : il y a donc aussi une forme d’admiration pour lui, un être exceptionnel.

 

Mais jamais, nous concernant,

jamais tu ne te sers de cette possibilité, de ce don (on dit comme ça, c’est une sorte de don, je crois, tu ris) jamais, nous concernant, tu ne te sers de cette qualité

─ c’est le mot et un drôle de mot puisqu’il s’agit de toi ─

jamais tu ne te sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous.

Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes.

C’est pour les autres.

 

Elle joue sur le mot « qualité » pour l’insulter, ou presque : il serait évident qu’il n’en a pas…

Sens de qualité = don                         sens de qualités vs. défauts

 

 

« nous » ici, c’est la famille sans Louis. Suzanne souffre de l’exclusion de Louis de ce « nous », en lui reprochant de s’en être exclu lui-même par mépris pour eux. Le symbole de ce mépris, c’est son usage de l’écriture, « pour les autres », mais pas pour « nous ».

 

 

La crise d’Antoine

Dans le tumulte des émotions qui secouent Juste la fin du monde de Lagarce, la crise personnelle d'Antoine émerge comme un élément central, dévoilant les fissures profondes de son être. Son identité semble tissée en réaction à celle de son aîné, Louis, dont le départ a laissé un vide béant dans sa vie. Alors qu'il incarne l'homme en colère, Antoine est ancré dans sa terre natale, éloigné des horizons lointains explorés par Louis, l'écrivain et l'intellectuel. Leur opposition se cristallise dans leurs choix de vie, soulignant le poids des responsabilités familiales que Antoine a assumées en l'absence de son frère. Son autorité souvent teintée d'agressivité envers La Mère et surtout Suzanne en témoigne.

Le retour de Louis ravive les blessures à vif d'Antoine, réveillant d'abord son complexe d'infériorité et sa jalousie face à la réussite de son frère. La peur de ne pas être à la hauteur l'envahit, comme en témoigne sa réflexion introspective :

 

Scène 11 de la première partie

Tout n’est pas exceptionnel dans ta vie,

dans ta petite vie,

c’est une petite vie aussi, je ne dois pas avoir peur de ça.

 

Les racines de son drame intime plongent également dans son enfance, où il a toujours ressenti la responsabilité du manque d'amour éprouvé par Louis. Ce fardeau de culpabilité le tourmente encore à l'âge adulte et en tant que père de famille :

 

Scène 2 de la deuxième partie

je ne voulais rien de mal,

je ne voulais rien faire de mal,

il faut toujours que je fasse mal

 

Un fort sentiment de culpabilité : “il faut toujours que je fasse mal” (se reproche le moment où Louis est parti) “à me reprocher les phrases que j’ai dites” (se reprochera d’avoir encore fait fuir Louis)

 

Scène 3 de la deuxième partie

Je ne suis rien,

je n’ai pas le droit,

et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras,

je serai moins encore,

juste là à me reprocher les phrases que j’ai dites,

à chercher à les retrouver avec exactitude,

moins encore,

avec juste le ressentiment,

le ressentiment contre moi-même.

 

Ainsi, dès le début de la pièce, son attitude hostile et ironique envers Louis témoigne d'une posture de combat, alimentant une haine latente qui menace d'exploser à tout moment, jusqu’à ce qu’il prononce la fameuse réplique : « Tu me touches, je te tue ». Cette tension intérieure explique la brutalité constante qui émane de son personnage, toujours sur le qui-vive. Antoine apparaît donc comme un homme épuisé, déchiré.

 

 

La crise de La Mère

La crise intime de la Mère prend la forme de la nostalgie. La nostalgie est un sentiment complexe et souvent difficile à définir : c'est une émotion qui se manifeste lorsqu'on se remémore avec affection et regret des souvenirs du passé. Cela peut être lié à une période de sa propre vie, à des lieux, à des événements, à des relations ou à des expériences qui sont maintenant révolus ou inaccessibles. La nostalgie peut être déclenchée par divers facteurs, tels que des souvenirs heureux, des moments marquants, des chansons, des odeurs, ou même des objets tangibles. Elle peut être à la fois douce et douloureuse, car elle évoque souvent un sentiment de perte ou de manque, mais elle peut également procurer du réconfort en nous rappelant des périodes plus simples ou plus joyeuses de notre vie. Ici c’est bien sûr le retour de Louis qui est l’élément déclencheur, mais la nostalgie de la Mère semble ancrée dans toute sa vie.

 

Scène 4 de la première partie

« est-ce qu’on peut savoir comment tout disparaît ? »

 

La mère semble être piégée dans le passé, incapable de se détacher des souvenirs et des anecdotes liés à une époque révolue, en l'occurrence les dimanches passés en famille. Son discours est décrit comme étant figé, ce qui suggère qu'elle répète les mêmes histoires et les mêmes souvenirs de manière compulsive, sans pouvoir avancer dans le présent. L'ombre du père disparu plane sur ses paroles, ce qui indique que la perte de son conjoint a laissé une empreinte profonde sur elle et influence la manière dont elle se remémore le passé. Malgré ses efforts pour raviver les jours heureux, ses paroles semblent vaines, car le passé est irrémédiablement révolu et elle semble incapable de trouver du réconfort dans le présent.

 

Lire en entier la scène 4 de la première partie

Elle fait le récit de la manière dont la famille occupait ses dimanches quand le père était vivant (promenades, laver la voiture…). Obsession du mot “dimanche”. Mélange de plusieurs souvenirs incohérents. Impression de ressassement frénétique, sans se soucier de ceux qui écoutent ou non.

 

 

Bien dans son rôle, la Mère tente d’avertir Louis de la violence possible des réactions de Suzanne et d’Antoine.

 

Scène 8 de la première partie

Ils voudraient tous les deux que tu sois plus là,

plus présent,

plus souvent présent,

qu’ils puissent te joindre, t’appeler,

se quereller avec toi et se réconcilier et perdre le respect,

ce fameux respect obligé pour les frères aînés,

absents ou étranges

 

Dans ce passage, la Mère joue son rôle de “mère” en essayant de réconcilier ses enfants, elle fait l’interprète. Elle exprime aussi pudiquement sa tristesse de ne pas voir assez son fils aîné.

 

Enfin, elle affronte également sa propre mort, lorsqu’elle déclare se rendre compte à la scène 8 combien le temps a passé :

 

Scène 8 de la première partie

Pour moi aussi cela fait trente-quatre années.

Je ne me rends pas compte :

c’est beaucoup de temps ?

 

 

La crise de Catherine

Le drame personnel de Catherine est caractérisé par un sentiment d'effacement ou de disparition de soi-même. Catherine semble vivre dans l'ombre de son mari, Antoine. Par exemple, le choix du prénom de leur fils aîné, appelé Louis, est présenté comme un exemple de cet effacement. Le fait que le prénom soit choisi par Antoine ou qu'il ait une signification particulière pour lui laisse entendre que Catherine n'a peut-être pas eu beaucoup d'influence dans cette décision ou que ses propres désirs et opinions ont été subordonnés à ceux de son mari. Cela souligne un manque de présence individuelle de la part de Catherine, ce qui contribue à la perception d'elle comme étant dans l'ombre d'Antoine.

 

Scène 2 de la première partie

cela faisait plaisir à Antoine, c’est une idée auquel, à laquelle, une idée à laquelle il tenait,

et moi,

 je ne saurais rien y trouver à redire

- je ne déteste pas ce prénom

 

Antoine et Catherine ont appelé leur fils Louis, le prénom du père et du fils aîné. Catherine apparaît un peu effacée derrière Antoine, qui est celui qui prend les décisions.

 

Le personnage de Catherine a une tirade personnelle, dans la scène 6 de la première partie, et elle ne cesse de tourner autour de son mari :

Il croit, je crois cela, il croit que vous ne voulez rien savoir de lui

 

Le conflit intérieur de Catherine se manifeste par son incapacité à exprimer sa propre voix de manière affirmée. Catherine est dépeinte comme étant constamment en proie à des difficultés de communication : elle bafouille, revient sur ses mots et semble toujours hésitante et incertaine dans ses paroles. Cette incapacité à affirmer une parole individuelle suggère qu'elle est peut-être étouffée par ses propres doutes ou inhibitions, ou qu'elle se sent incapable de s'exprimer librement en présence des autres personnages, notamment son mari Antoine ou les autres membres de la famille. Cela souligne son malaise et son manque de confiance en elle, ce qui contribue à son sentiment d'effacement et de dépendance par rapport aux autres.

 

Ce drame de l’effacement se manifeste avec acuité à l’issue de la scène 9 de la première partie, lorsque tout le monde se court après, laissant la jeune femme « seule » sur scène.

 

Fin de la scène 9 de la première partie

Catherine reste seule.

 

Catherine se retrouve en effet seule sur la scène à la fin de la scène 9 partie 1 car au début de cette scène, on observe une dispute entre Antoine et Suzanne après qu’Antoine a critiqué Louis sur sa façon de parler à Catherine. A la fin de la scène, Antoine et Suzanne partent, suivie de Louis sûrement gêné/vexé, suivi lui-même de la mère. C’est ainsi que Catherine se retrouve seule à la fin de la scène. 

 

Il y a un autre aspect intéressant du personnage de Catherine dans Juste la fin du monde. Malgré sa distance avec les autres membres de la famille, Catherine se trouve paradoxalement plus proche de Louis, le personnage principal. Dès le début de la pièce, il est souligné qu'il y a une proximité particulière entre Catherine et Louis, au point que certains indices suggèrent qu'elle est la seule à vraiment comprendre le sens du retour de Louis dans la famille.

 

Dans l'adaptation cinématographique réalisée par Xavier Dolan, Catherine, incarnée par Marion Cotillard, devient une figure centrale de l'intrigue. Une scène mémorable de silence entre Catherine et Louis suggère avec force que la jeune femme, plus perspicace qu'on ne pourrait le penser, a saisi le secret de son beau-frère à travers un simple regard. Cette interprétation met en avant la profondeur du personnage de Catherine et sa capacité à comprendre les non-dits et les émotions sous-jacentes, même si elle semble distante ou réservée dans ses interactions avec les autres membres de la famille.

 

Scène 2 de la première partie

Et puis,

et puisque vous n’aviez pas d’enfant, puisque vous n’avez pas d’enfant,

– parce qu’il aurait été logique, nous le savons... –

ce que je voulais dire :

mais puisque vous n’avez pas d’enfant

et Antoine dit ça,

tu dis ça, tu as dit ça,

Antoine dit que vous n’en aurez pas

– ce n’est pas décider de votre vie mais je crois qu’il n’a pas tort. Après un certain âge, sauf exception, on abandonne, on renonce –

puisque vous n’avez pas de fils,

c’est surtout cela,

puisque vous n’aurez pas de fils

 

Dans cette réplique de Catherine au début de la pièce, on comprend que la famille de Louis (ou du moins Catherine et Antoine) est au courant pour son homosexualité, mais ils ont l’air d’éviter d’aborder le sujet, beaucoup de paraphrases et de remplissage afin d’éviter de véritablement aborder le sujet.

 

Mais son rôle marginal demeure.

Scène 6 de la première partie

il est bien préférable que vous ne me disiez rien et que vous lui disiez à lui ce que vous avez à lui dire.

Je pense que c’est mieux et vous n’y verrez pas d’inconvénient.

Moi, je ne compte pas et je ne rapporterai rien,

je suis ainsi

ce n’est pas mon rôle

ou pas comme ça, du moins, que je l’imagine.

 

4. L’explosion de la crise familiale

La pièce met en scène la dynamique complexe de la famille, exacerbée par le retour de Louis, le frère aîné, après une longue absence. Il y a les crises personnelles, les ressentiments et les émotions refoulées qui existent au sein de chaque membre de la famille. Ces tensions sont souvent enfouies sous une apparence de normalité, mais elles émergent lorsque Louis réapparaît, mettant ainsi en lumière les déséquilibres et les non-dits. Le retour de Louis brise l'équilibre déjà précaire qui existait en son absence. Son retour ramène à la surface des conflits non résolus et des sentiments refoulés et cela crée un climat d'instabilité et de conflit.

 

Relations entre Antoine et Suzanne

Le retour de Louis affecte particulièrement la relation entre Antoine (le cadet) et Suzanne (la petite sœur). La joie manifestée par Suzanne à l'égard du retour de son frère aîné irrite Antoine. Son agressivité envers Suzanne peut être interprétée comme une manifestation de sa propre frustration et de son sentiment d'infériorité par rapport à son frère aîné. Antoine remarque que le comportement de Suzanne change en présence de leur frère. Le retour de Louis modifie les interactions entre les membres de la famille. Le changement de comportement de Suzanne peut être interprété comme une tentative de se rapprocher de son frère aîné ou de gagner son affection, ce qui aggrave les tensions déjà existantes entre elle et Antoine. Voici deux extraits de répliques d’Antoine sur sa sœur :

 

Scène 1 de la première partie

On dirait un épagneul

 

Scène 2 de la deuxième partie

Elle est impossible aujourd’hui, ce que je disais,

je ne sais pas ce qu’elle a après moi,

je ne sais pas ce que tu as après moi,

tu es différente.

Si c’est Louis, la présence de Louis,

je ne sais pas, j’essaie de comprendre,

si c’est Louis

 

L’arrivée de Louis fait en sorte que toute la famille se concentre sur lui, sauf Antoine qui jalouse cette situation et devient désagréable, surtout avec Suzanne et sa mère :  colère, agressivité, insultes (« épagneul »), « tu es différente ».

 

La grande dispute collective de la scène 9 de la première partie

Ces conflits ne sont pas simplement des désaccords mineurs, mais ils reflètent des problèmes plus profonds qui existent depuis longtemps et qui sont exacerbés par le retour de Louis (voir les crises de chacun). Les retrouvailles avec Louis ne sont pas un moment de réconciliation et de bonheur familial, mais plutôt une occasion pour les autres membres de la famille de lui reprocher son indifférence envers eux. La dispute qui éclate dans la scène 9 de la première partie est représentative de la nature tumultueuse des relations familiales. Cette dispute peut être vue comme le point culminant des tensions accumulées entre les membres de la famille.

 

Lire en entier la scène 9 de la première partie

Fin du repas du dimanche, un moment censé être agréable : la tension monte entre Suzanne et Antoine qui quittent la table à cause de la façon qu’ils jugent trop « polie » de Catherine de parler à Louis.

Suzanne.- Merde, merde, et merde encore !

 

5. La crise de la parole

Les problèmes du langage et de la communication occupent une place prépondérante. Dès les premières lignes, nous sommes confrontés à la question fondamentale : dire ou ne pas dire ?

Un premier élément frappant est la récurrence du verbe « dire » (200 fois environ) et des verbes de parole tout au long de la pièce. Pourtant, dire n'est pas toujours évident dans cet univers où le silence semble peser lourdement. Près d'un quart des occurrences du verbe « dire » sont à la forme négative (avec le pronom « rien »), mettant en lumière les non-dits et les secrets qui hantent la famille. Beaucoup de répliques portent sur la manière de dire, sur le choix des mots : « on dit ça », « on dit comme ça ? », « comment est-ce qu’on dit ? ».

Un exemple marquant de cette crise de la parole est le personnage de Louis, pourtant écrivain de métier, qui reste silencieux la plupart du temps. Spectateur de sa propre pièce, il écoute les reproches et les rancœurs de sa famille sans jamais leur répondre de manière satisfaisante. Son silence renforce l'idée du secret de famille, alimentant ainsi les incompréhensions et les tensions. La conclusion du dialogue entre la Mère et Louis manifeste l’échec de la communication : « Petit sourire ? / Juste "ces deux ou trois mots" ? – Non. / Juste le petit sourire. J’écoutais. – C’est ce que je dis. »

 

L'écriture de Lagarce elle-même contribue à cette atmosphère troublante. Ni en prose ni en vers, elle est traversée de répétitions, de passages à la ligne, et de phrases inachevées, reflétant la difficulté des personnages à exprimer ce qu'ils ressentent.

 

La parole, lorsqu'elle émerge, devient alors explosive, se transformant souvent en disputes. Les personnages se lancent dans des tirades solitaires, tentant désespérément de se faire entendre, mais échouant souvent dans cette quête de compréhension mutuelle.

 

La véritable action de la pièce réside dans cette recherche incessante de la parole. Les personnages tentent de se comprendre, de s'exprimer, mais se heurtent invariablement à des obstacles. La scène entre Suzanne et Antoine, où le verbe « comprendre » est utilisé à sa forme négative à plusieurs reprises, illustre parfaitement cette incompréhension.

 

SUZANNE. – Ce que je ne comprends pas.

ANTOINE. – Moi non plus.

SUZANNE. – Tu ris ? Je ne te vois jamais rire.

ANTOINE – Ce que nous ne comprenons pas.

VOIX DE CATHERINE. – Antoine !

SUZANNE, criant. – Oui ?

Ce que je ne comprends et n’ai jamais compris

ANTOINE. – Et peu probable que je comprenne jamais

SUZANNE. – Que je ne comprenne jamais.

La pièce met en lumière la difficulté à communiquer et à se comprendre, révélant le sentiment de solitude qui accable les hommes. Cette pièce, avec son langage troublant et sa quête incessante de la parole, nous rappelle les œuvres du théâtre de l'absurde, comme La Cantatrice chauve d’Ionesco. Juste la fin du monde nous invite à réfléchir sur notre capacité, ou notre incapacité, à nous comprendre les uns les autres.

6. Crise personnelle de Lagarce lui-même : sa tragédie ?

Dans l’Épilogue de Juste la fin du monde, Louis, qui n’a pas révélé le secret qu’il était venu dire, évoque sa propre mort et son besoin irrésistible de « pousser un grand et beau cri, / un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée ». Un dernier cri jamais poussé : « Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier. / Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai. ». N’est-ce pas ici Lagarce lui-même qui parle ? Sa pièce n’est-elle pas à entendre comme le cri intérieur qu’il pousse lui-même ?

 

Lagarce se sait condamné par la maladie, le SIDA, environ sept ans avant sa mort. Au printemps 1990, il reçoit le prix Léonard-de-Vinci et part trois mois à Berlin où il rédige Juste la fin du monde. D’après Michel Raskine, à son retour en France, très peu sont ceux qui comprennent et acceptent cette pièce. La dimension autobiographique de la pièce est évidente et très émouvante. C’est un projet très personnel de l’auteur, qui trouve son origine dans des moments vécues (la crise personnelle de juillet 1983, mentionnée dans le Journal de Lagarce, les relations souvent tendues que l’auteur a entretenues avec sa famille, sa maladie tenue secrète.

 

Voici des extraits de son journal :

 

Jeudi 11 février 1988

Paris. Edgar-Quinet. 13 h 30.

Je vais m’atteler très vite à une pièce. Une pièce courte qui me trottait dans la tête depuis quelque temps.

Cela s’appelle Les Adieux.

Cinq personnages, La Mère, le père, la sœur, le fils et l’ami du fils. Le fils vient, revient. Il va mourir, il est encore jeune. Il n’a jamais vraiment parlé. Il vient écouter. Il est avec un homme. Ils passent une journée là à ne pas faire grand-chose. Ils écoutent.

La Mère parle tout le temps. Éviter le silence, faire comme si de rien n’était.

On ne le dit pas, mais on sait que l’on ne se reverra jamais.

 

Samedi 23 juillet 1988

Paris. 23 h 35.

La nouvelle du jour, de la semaine, du mois, de l’année, etc., comme il était « à craindre et à prévoir » (à craindre, vraiment ?).

Je suis séropositif mais il est probable que vous le savez déjà.

Regarde (depuis ce matin) les choses autrement. Probable, je ne sais pas.

Être plus solitaire encore, si cela est envisageable.

Ne croire à rien, non plus, ne croire à rien.

Vivre comme j’imagine que vivent les loups et toutes ces sortes d’histoires.

Ou bien plutôt tricher, continuer de plus belle, à tricher.

Sourire, faire le bel esprit. Et taire la menace de la mort – parce que tout de même… – comme le dernier sujet d’un dandysme désinvolte.

 

Samedi 6 janvier 1990

Paris. Place Blanche. 13 h 40.

(…) Donc, le fils aîné va retrouver sa famille. Il est en train de mourir c’est ce qu’on sait et on parle de choses et d’autres. La Mère, le père, le fils cadet, la femme du fils cadet, la sœur, le fils aîné donc et l’homme qui vit avec le fils aîné. C’est une pièce sur la famille, le corps et sur l’enfance. GLUPS !

Jean-Luc Lagarce, Journal, 1977-1990, Les Solitaires Intempestifs, 2007.

 

La maladie : L'auteur ainsi que son personnage, Louis, sont tous deux confrontés à une maladie mortelle. Lagarce est atteint du SIDA, tandis que la maladie de Louis n'est pas explicitement mentionnée, mais divers indices suggèrent qu'il est homosexuel (étant donné qu'il est admis qu'il ne pourra jamais avoir d'enfant) et donc potentiellement également atteint du même virus, en considérant le contexte de l'épidémie de SIDA qui a particulièrement touché les hommes homosexuels à l'époque où la pièce a été écrite.

 

L'importance de la famille : Les parents de Lagarce, tout comme ceux de Louis, proviennent d'un milieu ouvrier relativement modeste. Lagarce a réussi à devenir un acteur et dramaturge renommé, ce qui l'a éloigné de ses origines modestes. De même, Louis, dans la pièce, est celui qui choisit de s'éloigner de ses origines pour emprunter un autre chemin, se retrouvant ainsi comme un « étranger » pour sa propre famille.

 

 

7. Une famille en crise à portée universelle

C’est une pièce de théâtre qui, au-delà du cas particulier de cette famille, transcende les frontières du temps et de l'espace pour nous offrir une méditation sur la nature complexe et universelle de la famille : un huis clos familial où les tensions, les non-dits et les regrets forment un véritable mythe contemporain de la vie familiale.

 

Des allusions évidentes à références mythiques anciennes, évoquant des figures emblématiques telles que Romulus et Rémus, Abel et Caïn, Étéocle et Polynice. En confrontant les frères Louis et Antoine, Lagarce évoque implicitement les tensions fraternelles qui ont jalonné l'histoire de l'humanité.

Romulus et Rémus, les fondateurs mythiques de Rome, sont frères jumeaux dont la rivalité a conduit à un fratricide, symbolisant ainsi les luttes de pouvoir et les conflits familiaux qui marquent l'histoire de l'humanité. De même, Abel et Caïn, figures bibliques bien connues, représentent la dualité entre le bien et le mal, la jalousie fraternelle et les conséquences tragiques de la violence intrafamiliale. Quant à Étéocle et Polynice, fils d'Œdipe dans la tragédie grecque, leur rivalité fraternelle a conduit à une guerre fratricide, symbolisant les luttes de pouvoir et les conflits d'honneur qui ont marqué la mythologie grecque.

 

Cette multiplication des références mythiques confère à la pièce une portée universelle, invitant le spectateur à reconnaître les motifs intemporels de la rivalité fraternelle et de la quête d'identité. En confrontant les personnages à ces figures mythiques, Lagarce nous rappelle que les conflits familiaux sont un phénomène universel, ancré dans la condition humaine.

 

De plus, le théâtre en tant qu'art a toujours eu une inclination naturelle à exprimer des vérités universelles à travers les siècles. Depuis la tragédie grecque antique, où des figures mythologiques comme Œdipe ont incarné les luttes humaines contre le destin, jusqu'au théâtre français du XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècle, où les dramaturges comme Racine, Molière, Marivaux, Hugo et Beckett ou encore Ionesco ont exploré les conflits intérieurs et familiaux, le théâtre a mis sur la scène les questions fondamentales de la vie humaine et ses dilemmes universels.

 

C'est un véritable mythe contemporain et atemporel de la famille. La pièce nous offre un miroir dans lequel chacun peut se reconnaître, faisant ainsi écho aux drames et aux joies de la condition humaine.

 

Toutes les familles sont des volcans

La famille nous constitue. On n’y échappe pas. On y est comme « condamné ». La connivence est alors réelle, absolue, entre ces personnages et nous tous, puisque nous avons tous une famille. Au pire, nous en avons tous eu une. La famille est une entité non statique, un groupe en perpétuelle évolution. Toutes les familles sont des volcans. Les noyaux familiaux les plus harmonieux et les plus soudés traversent des épreuves, des crispations, des non-dits, des secrets, des tensions, des conflits, des drames, et des deuils… Toutes les familles connaissent les variations qui vont du rejet à la réconciliation. Le retour et l’abandon sont les deux thèmes primordiaux de l’œuvre de Lagarce. En cela, Juste la fin du monde est bien « une pièce qui fait du chagrin ». Elle bouscule, bouleverse, elle atteint. Ce théâtre-là sollicite notre intelligence et notre émotion de la même manière.

Michel Raskine, Livret de la Comédie-Française, 2008.

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