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Allez lire et écouter le cours, qui aborde tous les thèmes qu'il faut maîtriser sur le recueil de Victor Hugo et sur le parcours "Les Mémoires d'une âme". Organisé par blocs thématiques, il vous prépare à traiter n'importe quel sujet de dissertation qui pourrait tomber le jour du bac, à comprendre la problématique,  à construire un plan (parties et sous-parties) et à vous appuyer sur des références et des citations précises de l’œuvre.

LES ACTIVITÉS

XV

LA COCCINELLE

 

Elle me dit : Quelque chose
Me tourmente. Et j’aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.

J’aurais dû — mais, sage ou fou,
À seize ans, on est farouche, —
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l’insecte à son cou.

On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche fraîche était là :
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s’envola.

— Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l’insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu ;
Mais la bêtise est à l’homme.

 

Paris, mai 1830.

INTRODUCTION

Il s'agit du 15e poème du premier livre des Contemplations, premier livre aussi, comme le dit la préface, du « tome de l’espérance », appelé « Autrefois » (livres I, II et III).

Ce poème porte la date la plus ancienne de toutes parmi les dates qui apparaissent en bas des poèmes : « Paris, mai 1830. »

Mais en réalité, le manuscrit de Victor Hugo porte la date du 10 octobre 1854, ce qui signifie que c'est un poème de jeunesse factice, écrit tardivement, une des pièces très nombreuses destinées à rendre plus bleu le ciel noir des Contemplations. Pour Victor Hugo, il s'agit de relancer la poésie lyrique légère, rendu impossible par l'abîme que sépare la fameuse ligne de points du 4 septembre 1843.

Ce poème s'inscrit dans une série des amours adolescentes du poète. Il présente le même personnage que dans d'autres textes, appelé « Rose », dont le poète on aperçoit la beauté trop tard : temps de l'innocence et des premiers émois amoureux, proche de la bucolique qui célèbre l'amour naissant, l'enfance, le matin, le printemps, avant l’abîme.

 

La forme de ce texte est conforme à cette modestie : cinq quatrains de sept syllabes (heptasyllabes), loin des grands vers nobles comme l’alexandrin. Des rimes embrassées aussi (ABBA), ce qui est très rare dans le recueil (Nous en reparlerons dans l’explication).

 

Problématique / projet de lecture

Ce poème réussit-il à recréer, pourtant après le désastre de 1843, une légèreté douce et érotique, sans points noirs ?

 

Mouvements à annoncer

0 : Le titre et sa présence dans le poème

1 : Strophe 1→ Une atmosphère délicatement légère et mystérieuse

2 : Strophe 2 → Regard rétrospectif affectueux et amusé

3 : Strophes 3 et 4 → Une bucolique érotique

4 : Strophe 5 →  Une morale, une chute sur un jeu de mots prémonitoire

 

MOUVEMENT 0 : Le titre

XV

LA COCCINELLE

Le titre

- Le mot n'apparaîtra qu’au vers 15, avec retard.

 

- La coccinelle est désignée, avant, par des périphrases, d'abord vagues puis plus précises : « quelque chose », « un petit insecte rose », « l'insecte à son cou », « un coquillage », « Dos rose taché de noir », puis à la fin « l'insecte du ciel bleu ». Une dernière désignation est indirecte : « Les bêtes sont au bon Dieu », ce qui rappelle l'expression « bête à bon dieu » qui désigne familièrement la coccinelle.

 

- Comme au poème dédié à Froment Meurice, l'orfèvre, il y a une tendance de ces pièces bucoliques à célébrer les beautés minuscules de la nature, comme des bijoux. La coccinelle en est un exemple.

 

 

MOUVEMENT 1 : Une atmosphère délicatement légère et mystérieuse

Elle me dit : Quelque chose
Me tourmente. Et j’aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.

 

Première strophe

- « Elle » n'a pas de nom, même si cela fait penser à « Rose » comme la jeune fille du poème « Vieille chanson du jeune temps ». L'adjectif de couleur « rose » apparaît aux vers 4 et 10.


- « Quelque chose me tourmente » : un début très prosaïque marqué aussi par l'enjambement, qui donne l’impression d’un dialogue naturel et familier.

 

- De même, ce « quelque chose » n'a pas encore de nom même si le lecteur peut grâce au titre émettre une hypothèse. Ce « quelque chose » a peut-être comme sens le désir d'un baiser, ou bien la gêne d'être taquiné par un petit insecte.

 

- « Cou de neige » et « petite insecte rose », sont des manières anciennes de s'exprimer qui crée une atmosphère de délicatesse légère, proche du pastiche d'une ancienne manière.

 

 

MOUVEMENT 2 : Regard rétrospectif affectueux et amusé

J’aurais dû — mais, sage ou fou,
À seize ans, on est farouche, —
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l’insecte à son cou.

 

Deuxième strophe

Regard rétrospectif du poète devenu plus savant, sur lui-même, et annonce indirecte de la fin : il relève une erreur de jeunesse, de timidité : « seize ans » et pour la timidité « farouche ».

 

Jeu sur les rimes et les sonorités :

- des rimes embrassées peut-être à la place du baiser qui n'aura pas lieu

- allitération en [ou] qui fait dessiner aux lèvres l'esquisse d'un baiser, tout comme la consonne [b]

Les rimes embrassées, en mimant peut-être le baiser, rectifie l'erreur : le poète est devenu plus expert en lecture des signes.

MOUVEMENT 3 : Une bucolique érotique

On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche fraîche était là :
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s’envola.

 

Troisième strophe

Vers 9-10 : derrière les termes qui désignent ici la coccinelle, il y a une suggestion érotique :

- mention d'un « coquillage » (image traditionnelle du sexe féminin) tout comme du « Dos rose et taché de noir », peut-être pas loin du fameux « bijou rose et noir » de Baudelaire.

La coccinelle n'est pas rose en effet.


Vers 11-12 : les fauvettes (oiseaux) sont sensibles à cette tonalité érotique, d'où leur curiosité. La nature a sa part ici dans la tonalité érotique : fauvettes attentives (« se penchaient ») et « feuillage » suffisent à installer un cadre bucolique.


Quatrième strophe

L'attente érotique se prolonge, puisqu'il est question d'une « bouche fraîche » et de « me courbai sur la belle ».

- Retour de la « bouche »

- Les deux points (« : ») qui relient les vers 13 et 14 suggèrent logiquement que le jeune poète se penche sur elle pour baiser cette bouche, mais l'attente du lecteur, qui les observe avec la complicité des fauvettes, est déçue !

- Au lieu de prendre un baiser et de laisser s'envoler la coccinelle, on prend la coccinelle et le baiser s’envole : un joli hypallage, un mot pour un autre, comme si le baiser était aussi une sorte d’insecte rose, et ailé.

 

 

MOUVEMENT 4 : Une morale, une chute sur un jeu de mots prémonitoire

 

— Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l’insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu ;
Mais la bêtise est à l’homme.

                             Paris, mai 1830.

Cinquième strophe

La coccinelle parle :

- Comme la marguerite ou le bouvreuil, prosopopée fréquente dans les poèmes bucoliques de cette partie du recueil

- Elle semble placée dans une position de grande autorité, presque divine, puisqu'elle désigne le poète par « fils » et s'adresse à lui sur le mode impératif

- La périphrase « l'insecte du ciel bleu » en fait une créature céleste.

 

Le poète a donc mal compris quelque chose, a commis une erreur d’interprétation que la coccinelle rectifie en développant un petit polyptote qui fait jouer « bêtes » et « bêtise ».

- Elle insiste, par un présent de vérité générale sur la faiblesse de l’homme, avec un mot familier « la bêtise ».

 

 

CONCLUSION

Un petit poème, d'inspiration poétique bucolique et érotique, qui dresse un portrait du poète un jeune benêt encore ignorant du désir des femmes et, plus généralement, novice dans le déchiffrement des signes, ici des signes donnés au jeune garçon par une jeune femme qui lui propose un baiser (comme dans d’autres poèmes du même livre).

Le ton est léger : c’est la dimension autobiographique des Contemplations. Le poème présente une petite scène délicatement érotique, ainsi que le regard amusé et bienveillant du poète désormais plus âgé sur sa jeunesse.

Mais la chute contient aussi une dimension plus sérieuse : « l’insecte du ciel bleu » lui rappelle que le sens, l’interprétation, a Dieu pour garant, et que l’homme est condamné à la « bêtise », c’est-à-dire à vivre sans comprendre le sens. Au début du livre IV, cela deviendra insupportable au poète, car Dieu se taira ou, plutôt, sa voix deviendra inaudible.

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