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Ce cours aborde tous les thèmes qu'il faut maîtriser sur le roman de Madame de Lafayette et sur le parcours "Individu, morale et société". Organisé par blocs thématiques, il vous prépare à traiter n'importe quel sujet de dissertation qui pourrait tomber le jour du bac, à comprendre la problématique,  à construire un plan (parties et sous-parties) et à vous appuyer sur des références et des citations précises de l’œuvre.

1. La Princesse de Clèves, une critique de la société : le règne des apparences et de l’ambition

 

L’histoire du roman se déroule seulement un siècle avant sa parution, dans un univers (Paris, la Cour, les châteaux à la campagne) qui est le même que celui de l’époque de Madame de Lafayette : pour les lecteurs de 1678, qui sont des aristocrates parisiens, ce roman est donc totalement « réaliste », il se passe dans leur environnement quotidien. Le lecteur du XVIIe siècle est donc invité à s’identifier à un dilemme individuel très proche de ce que peut-être sa propre vie.

 

L’ostentation, le luxe

 Première phrase du roman : « La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. »

 

Cette phrase a été comprise à l’époque comme une critique implicite à la cour de Louis XIV, jugée inférieure en grandeur à celle d'Henri II.

La Cour, lieu de cérémonial et de divertissement, mis sous le signe d'un raffinement appelé ici « galanterie » : tournois, fêtes, conversations… Mais cette élégance ne se vérifie pas en toutes circonstances dans le roman.

La recherche de l'ostentation se manifeste dans de nombreuses épisodes du roman : le récit des fiançailles de Madame, la publication du tournoi, les passages concernant le cercle de la Dauphine. Cette recherche est incarnée par le Maréchal de Saint-André, qui met tout son possible pour exhiber richesse et gloire : « Le maréchal de Saint-André, qui cherchait toutes les occasions de faire voir sa magnificence, supplia le roi sur le prétexte de lui montrer sa maison, qui ne venait que d'être achevée, de lui vouloir faire l'honneur d'y aller souper avec les reines. Ce maréchal était bien aise aussi cette dépense éclatante qui allait jusqu'à la profusion. »

 

Les guerres de clans

 « L’ambition et la galanterie étaient l’âme de cette cour et occupaient également les hommes et les femmes. Il y avait tant d’intérêts et tant de cabales différentes, et les dames y avaient tant de part, que l’amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l’amour. Personne n’était tranquille, ni indifférent ; on songeait à s’élever, à plaire, à servir, ou à nuire ; on ne connaissait ni l’ennui ni l’oisiveté, et on était toujours occupé des plaisirs ou des intrigues. »

 

La vie de cour fait l'objet d'un éloge grandiose, mais le narrateur et les personnages en montrent la misère et les dangers. Le tableau dressé par Madame de Chartres à sa fille dans la première partie, puis celui qu’établit le narrateur au moment de l'accession au trône de François II dans la quatrième partie, révèle les rivalités et l'opposition entre des clans.

 

 

2. La Princesse de Clèves, une critique de la société : « galanterie » et « galanteries »

 

Deuxième phrase du roman : « Ce prince était galant, bien fait et amoureux : quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n’en était pas moins violente et il n’en donnait pas des témoignages moins éclatants. »

 

L'amour est omniprésent à la cour, mais il est rarement pur. En effet s’y mêlent d'autres passions, comme l'ambition, la recherche de la richesse ou l'intérêt personnel. Le mariage est souvent un échec, souvent une simple affaire d'État ou de famille, comme c'est le cas pour l'héroïne, mais aussi pour les trois mariages princiers évoqués dans le roman. La plupart des amours du roman sont des relations adultères, souvent présentées de façon très négative, comme la relation du roi et de Diane de Poitiers, celle-ci étant « maîtresse absolue de toutes choses », ayant eu de nombreux amants auparavant, dont peut-être le père de son amant actuel.

L'amour pur est incarné par le prince de Clèves, qui résiste à sa famille pour épouser une jeune fille dont il est tombé amoureux sans connaître son rang ni sa fortune (scène de rencontre chez le bijoutier : le motif des fausses apparences y est présent car sa boutique ressemble à un château de la noblesse alors qu’il n’est qu’un marchand).

 

Le duc de Nemours est présenté comme un homme qui a des « galanteries » avec des femmes (= des relations hors mariage), avant son coup de foudre pour la princesse.

« Il n’y avait aucune dame, dans la cour, dont la gloire n’eût été flattée de le [c’est-à-dire le duc de Nemours] voir attaché à elle ; peu de celles à qui il s’était attaché se pouvaient vanter de lui avoir résisté ; et même plusieurs à qui il n’avait point témoigné de passion n’avaient pas laissé d’en avoir pour lui. Il avait tant de douceur et tant de disposition à la galanterie qu’il ne pouvait refuser quelques soins à celles qui tâchaient de lui plaire : ainsi il avait plusieurs maîtresses ; mais il était difficile de deviner celle qu’il aimait véritablement. »

 

Les nuances du sentiments : le modèle de la Carte du pays de Tendre

 Pour peindre les caractères de ses personnages et leur évolution au cours de l'intrigue, Madame de Lafayette reprend le vocabulaire de la « carte du pays de Tendre », publiée en 1654 par Madeleine de Scudéry dans le roman Clélie. Selon la carte de Tendre, trois cheminements sont possibles à partir d'une « nouvelle amitié » : un fleuve rapide peut conduire directement au village de « Tendre-sur-Inclination » ; des itinéraires plus longs permettent d'atteindre Tendre-sur-Estime ou Tendre-sur-Reconnaissance.

 

Il ne faut donc pas que les sentiments dépassent la simple tendresse par estime ou par reconnaissance; sinon on tombe dans la « Mer dangereuse » et l'on échoue sur des « Terres inconnues ». La princesse va précisément faire l'apprentissage de ce qu'il en coûte de vivre une inclination violente, cette passion amoureuse où les précieuses voyaient souffrance et folie.

 

 Le roman apparait donc bien comme une démonstration par l’exemple des dangers de la vie mondaine.

 

 

3. Un roman sans date ni description : le lecteur plongé dans la peau d’un individu

 

La Princesse de Clèves est un roman presque sans date et sans description : le lecteur a donc l’impression d’être le spectateur d’une histoire vécue à travers la seule psychologie du personnage principal.

 

Le temps

Le récit de La Princesse de Clèves s’étend sur une année, couvrant les derniers mois du règne d'Henri II et les premiers du règne de François II : mais on ne peut s’en rendre compte qu’en s’appuyant sur les notations historiques. En fait, c’est un roman presque sans aucune mention du temps qui passe : le rythme est donc, pour le lecteur, seulement celui de la psychologie de l’héroïne. Le découpage en quatre parties souligne quatre événements majeurs, comme les actes d’une tragédie : I. les scènes de rencontre initiales, II. L’épisode du vol du portrait, III. La scène de l’aveu, IV. La grande conversation entre la princesse et Nemours.

 

Le lieu

C’est un roman sans description : la perception des lieux pour le lecteur est liée à la psychologie des personnages, de la Princesse en particulier.

Les va-et-vient de la princesse entre la cour et Coulommiers, et en général entre le monde et la solitude, organisent le récit autour d'un contraste entre les moments où l'héroïne semble agir malgré elle, par passion, devant le regard des autres, et les moments où elle fait réflexion sur ses sentiments loin de l'agitation de la cour. La maison parisienne de la princesse et surtout le château de Coulommiers sont des lieux de solitude qui permettent méditation et jugement sur soi-même, tandis que la cour est un lieu d'aveuglement. On trouve d’ailleurs des scènes de monologues de la princesse, sur le modèle du théâtre.

 

 

 

4. Le versant moral de La Princesse de Clèves : les avertissements reçus par la Princesse

 

Les quatre « digressions »

 Les quatre histoires secondaires insérées dans le récit principal (= digressions) mettent également en avant le côté sombre de la vie de cour. Les belles manières cachent une décadence morale, le raffinement dissimule une réalité brutale, les conduites fourbes font de la cour un théâtre où triomphe les apparences et le lieu d'une « agitation sans désordre ». Cette agitation vient de la haine et de la jalousie sévèrement dénoncées par la romancière, comme celle qui oppose Anne d'Étampes et Diane de Poitiers, ou encore des passions adultères et excessives comme celle d'Henri VIII avec Anne de Boulen.

 

D1 : histoire de la duchesse de Valentinois, maîtresse du roi, racontée par Mme de Chartres à sa fille la princesse de Clèves : histoire d’adultère au sommet de l’État

D2 : Sancerre, Estouteville et Mme de Tournon : histoire d’adultère

D3 : la dauphine raconte l’histoire d’Anne de Boulen, qui rendit fou de jalousie le roi d’Angleterre Henri VIII qui la décapita, puis décapita toutes ses épouses successives

D4 : histoire de Mme de Thémines racontée par le vidame de Chartres à Nemours : c’est à elle qu’il avait écrit la lettre qu’on a cru tombée du vêtement de Nemours. C’est une manière d’illustrer la frivolité des hommes à la Cour.

 

Le discours de Madame de Chartres sur son lit de mort : emblème du combat contre la mondanité

 Cette cour est indulgente aux amours adultères. C'est ce triomphe des apparences mensongères que Madame de Chartres enseigne sa fille en lui demandant de ne pas ressembler aux « autres femmes » et en lui apprenant à protéger sa réputation : ce discours, qui intervient à la fin de la première partie, va hanter tout le roman. Il va faire de Madame de Chartres l’incarnation, même après sa mort, du refus de la mondanité. Son discours est d’ailleurs le déclencheur du premier départ de la princesse pour la campagne. Il est aussi en lien avec le choix final de la princesse après la mort de son mari, qui renonce au mariage avec Nemours : car la force qui relie les deux est la religion. En effet, au moment de sa mort, Madame de Chartres est mentionné pour sa « piété ».

 

 

 

5. L’héroïne de La Princesse de Clèves est-elle un individu héroïque, un modèle moral pour le lecteur pour se conduire dans la société ?

 

Contrairement aux héros traditionnels (dieux, héros antiques, rois et princes, chevaliers…), notre héroïne vit une histoire intime, personnelle, et n’intervient pas pour sauver ou défendre une collectivité. Elle doit plutôt lutter contre la société, c’est-à-dire contre les mauvaises tentations qu’elle représente.

 

Le lecteur est invité à s’identifier à un dilemme individuel proche de ce que peut-être sa propre vie. D’ailleurs, l’histoire du roman se déroule seulement un siècle avant sa parution, dans un univers (Paris, la Cour, les châteaux à la campagne) qui est le même que celui de l’époque de Madame de Lafayette : pour les lecteurs de 1678, qui sont des aristocrates parisiens, ce roman est donc totalement « réaliste », il se passe dans leur environnement quotidien.

 

L’héroïne du roman n’est pas héroïque, elle est un être humain ordinaire, qui commet des erreurs et se montre souvent faible face aux choix et aux difficultés qu’elle rencontre.

 

Même dans la scène de l’aveu, où elle fait preuve d’une sincérité extraordinaire (héroïque ?), la princesse est une héroïne faible et pécheresse (elle cache une part de la vérité).

 

L’aveu : un acte héroïque ? ou bien le résultat du piège dans lequel elle est prise ? Car la scène est très longue et, pressée longtemps par son mari, elle met beaucoup de temps à se lancer dans l’aveu, car elle ne peut faire autrement. De plus, elle refuse de dire de qui il s’agit et, surtout, elle ment : Mme de Clèves s'empresse de dire qu'elle n'a « jamais donné nulle marque de faiblesse ». Et, plus loin, lorsqu'il insiste pour qu'elle lui dise le nom de l'homme qu'elle aime, elle lui répond : « Contentez-vous de l'assurance que je vous donne encore, qu'aucune de mes actions n'a fait paraître mes sentiments et que l'on ne m'a jamais rien dit dont j'aie pu m'offenser ». Mais le lecteur sait que cela est faux. Si elle ne veut pas avouer à son mari que l'homme qu'elle aime lui a parlé de son amour, c'est parce qu'elle est consciente qu'elle n'aurait pas dû l’accepter. C'est sa propre faiblesse qu'elle ne veut pas avouer. Et de surcroît, elle le nie avec énergie : « je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse ». Mais cette faiblesse n'a pas consisté seulement à laisser M. de Nemours lui parler de sa passion, elle a consisté aussi et surtout à lui laisser voir la sienne. Comment donc peut-elle prétendre qu'« aucune de [s]es actions n'a fait paraître [s]es sentiments », alors qu'elle n'a pas cessé, depuis qu'elle est tombée amoureuse de M. de Nemours, de laisser échapper des signes, involontaires mais de plus en plus clairs, de sa passion ?

 

 

 

6.  Un roman qui ressemble, jusqu’à la mort du Prince, à une tragédie : un destin écrit à l’avance


Une atmosphère tragique : thèmes de la mort, du destin fatal

 - La présence constante de la mort : Madame de Chartres, le prince de Clèves, le roi Henri II. Est aussi évoquée la mort pour certains personnages après la fin du récit : la princesse de Clèves, la Dauphine, le chevalier de Guise, le Vidame de Chartres.

- La construction de roman est marquée par les prolepses (flash-forward). Ces anticipations sur le destin historique des personnages projettent une coloration tragique, funeste, fatale. Le narrateur multiplie ses effets d'annonce de la fin tragique de certains personnages : Elisabeth de France, Marie Stuart, le chevalier de Guise.

- L’une des plus marquantes est la mort annoncée du roi Henri II lors d’un duel, à l’occasion d’une conversation mondaine sur l’astrologie : or les lecteurs du XVIIe siècle savent très bien que Henri II est mort lors d’un duel. L’ironie tragique est présente dans cet extrait, car les personnages ne se rendent pas compte qu’ils courent vers des catastrophes, et Nemours fait lui-même une allusion à l’oreille de la princesse au sujet des prédictions d’un astrologue.

 

Le déroulement de l’action : une « machine infernale » jusqu’à la catastrophe

 À un moment, elle résume sa situation de la façon suivante : « Je suis vaincue et surmontée par une inclination qui m'entraîne malgré moi ».

 

Montée par paliers de la tension : jusqu’à la catastrophe, c’est-à-dire la mort du Prince.

La progression de l’histoire fonctionne comme un piège qui se referme de plus en plus sur le personnage.

Alternance entre action et réflexion, mais pour l’héroïne la prise de conscience se fait toujours avec retard, entraînant regrets et remords, et surtout montée de la tension car la catastrophe devient de plus en plus clairement inévitable, jusqu’à l’aveu :

1. Les paroles de Mme de Chartres sur son lit de mort

2. La réflexion de M. de Clèves sur la sincérité à propos de l'histoire de Sancerre et de Mme de Tournon

3. La pensée qui traverse l'esprit de Mme de Clèves de dire à son mari, lorsqu'il s'oppose absolument à ce qu'elle mène une vie plus retirée et que le bruit court que M. de Nemours est amoureux d'elle

4. les trois examens de conscience qui suivent respectivement le vol du portrait, la lecture de la lettre et enfin sa réécriture.

 

Puis l’enquête confiée par le Prince de Clèves à son gentilhomme : M. de Clèves se croit trompé (par erreur, car le gentilhomme a cru que Nemours avait passé deux nuits avec la Princesse, ce qui est faux), et il meurt de chagrin.

 

Après la catastrophe, l’héroïne reprend son destin en main

 Enfin, c'est par devoir, c'est-à-dire à cause de son passé, qu'elle refuse d'épouser Nemours après la mort de son mari : elle est poursuivie par ses fautes passées, c’est-à-dire par le sentiment d’être coupable de la mort de son mari (comme Œdipe qui se crève les yeux).

 

 

 

7. Peut-on lire la fin du roman comme une conclusion morale ?

La fin du roman met en avant la conversion religieuse de la princesse, seule manière de prendre son destin en main

 Le parcours de la princesse, à la fin du roman, semble gouverné par une retraite austère et silencieuse dans les Pyrénées, qui est une sorte de conversion. Elle renonce à la possibilité d’un mariage avec Nemours, et semble accablée par la culpabilité de la mort de M. de Clèves.

 

Le roman se clôt par l'évocation des « exemples de vertus inimitables » : par cette phrase finale, la romancière suggère non seulement la conversion du personnage mais aussi une nouvelle forme d'héroïsme, de modèle à suivre pour les lecteurs : c’est la mort du héros traditionnel parfait, courageux devant toutes les épreuves. Il est remplacé par une héros pécheur, faible, qui finit par renoncer aux plaisirs de la vie et à se tourner vers Dieu.

 

Cette fin apparait non seulement comme la fin de l’histoire, mais surtout comme une conclusion, comme la morale d’une fable, comme si l’histoire n’avait servi qu’à illustrer une leçon morale. Les mots « devoir » et « vertu », très présents dans tout le roman, font penser à la pratique de l'examen de conscience, de la confession. Le mot de « vertu » est celui qui qualifie le plus la princesse dans le roman. Au moment de sa mort, Madame de Chartres est mentionné pour sa « piété ». Et dans tout le roman, la mère de Madame de Chartres, surtout après sa mort prématurée, représente la figure du « directeur de conscience » : à la fin, la princesse choisit finalement de rejoindre ce camp.

 

Et comme le roman donne une grande part à la description du monde, à travers la vie de la cour (l’art de la conversation surtout, les portraits…), le lecteur est conduit à interpréter le roman comme une critique de ce mode de vie. Madame de Lafayette dénonce les fausses apparences, présente le monde comme un théâtre, et met en avant les notions de vertu et de devoir. Dans ce monde, ni les meilleurs ni la vérité ne sont récompensés, à l’image du Prince de Clèves qui meurt en croyant que sa femme l’a trompée avec Nemours (d’après le rapport de son gentilhomme).

 

Sur le thème de l’amour et de la passion, on peut évoquer la théorie que Mme de Clèves expose à M. de Nemours à la fin du roman pour justifier son refus de l'épouser : l'amour ne dure que lorsqu'il est malheureux ; il a besoin d'obstacles et se nourrit de résistance. Amour et vertu sont incompatibles.

 

Tout cela correspond à la vision noire du monde qui est véhiculée à l’époque par les jansénistes : face à un monde incompréhensible pour l’homme, tout petit face à Dieu, ils promeuvent une vie austère et rigoureuse.

 

 

 8. Le plaisir du lecteur est-il en contradiction avec l’apparente leçon morale du roman ?

 La Princesse de Clèves est un roman d’amour. Pour le lecteur, le plaisir vient de l’identification avec des personnages qui vivent une passion très forte, et considérée comme interdite : l’immoralité, le secret et l’intelligence entre les deux amants ont donc un rôle dans le frisson que vit le lecteur, spectateur complice de cet amour interdit.

 

Des moments forts

  • Rencontre au bal : la danse avec Nemours et le dialogue qui suit, arrangé avec vice par le roi et les reines présentes

  • Quand elle résiste à la passion, elle ment, comme pour ne pas aller au bal du maréchal de Saint-André

  • Elle prend plaisir des mots à double sens de Nemours, le plus souvent en présence d’autres personnages de la Cour : déclarations à double sens (astrologie, devant la dauphine…)

  • Le vol du portrait : échange de regard et paroles de Nemours

  • Plaisir de la lettre réécrite ensemble : occupation mondaine justifiée par tous les autres personnages

  • Les après-dîners chez elle : Nemours vient tard exprès pour la trouver seule

  • La scène nocturne du pavillon de Coulommiers, sensualité et abandon à la passion pour Nemours :

 

"Il vit qu’elle était seule ; mais il la vit d’une si admirable beauté qu’à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c’étaient les mêmes couleurs qu’il avait portées au tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu’il avait portée quelque temps, et qu’il avait donnée à sa sœur, à qui M. de Clèves l’avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours. Après qu’elle eut achevé son ouvrage, avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s’en alla proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours ; elle s’assit, et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner.

On ne peut exprimer ce que sentit M. de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu’il adorait ; la voir sans qu’elle sût qu’il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu’elle lui cachait, c’est ce qui n’a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant.

(…)

La passion n’a jamais été si tendre et si violente qu’elle l’était alors en ce prince. Il s’en alla sous des saules, le long d’un petit ruisseau qui coulait derrière la maison où il était caché. Il s’éloigna le plus qu’il lui fut possible pour n’être vu ni entendu de personne ; il s’abandonna aux transports de son amour, et son cœur en fut tellement pressé qu’il fut contraint de laisser couler quelques larmes ; mais ces larmes n’étaient pas de celles que la douleur seule fait répandre : elles étaient mêlées de douceur et de ce charme qui ne se trouve que dans l’amour."

 

Cette scène est emblématique de l’ambiguïté du roman de Madame de Lafayette : un roman qui semble condamner la passion amoureuse tout en exploitant tous les ingrédients de cette passion pour donner du plaisir au lecteur.

 

Cette contradiction correspond bien à ce que l’on ait de la vie de Madame de Lafayette, à la fois grande mondaine et chrétienne inquiète de Dieu et de la mort.

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